Éthique et maturité, indicateurs du niveau de conscience.
La réflexion qui suit postule que l’éthique et la maturité sont étroitement liées l’une à l’autre. Que plus les niveaux de maturités – affective, de la pensée et de la conscience – sont élevés, plus l’éthique est présente et peut être incarnée. Que la maturité la plus élevée s’observe chez l’individu ou le système qui tient compte à la fois de lui-même, de l’autre et de l’environnement, en situation et en relation. Qu’une maturité moindre se reconnaît dès lors que l’une ou deux des trois composantes de la relation sont absentes.
Le postulat de la dynamique évolutive du changement permet de mieux appréhender les cohérences ou les incohérences des individus, des institutions et des organisations. De repérer leurs niveaux de maturités, les articulations de leurs représentations, le sens qu’ils donnent à une valeur et leurs logiques de raisonnement en relation.
Quatre types de visions aident à le faire :
1- La vision de survie de dépendance.
2- La vision égocentrée aristocratique.
3- La vision autocentrée narcissique.
4- La vision autonome systémique.
Elles sont développées en trois points : “Définition, Exemple, Synthèse”, qui aident à repérer les composantes éthiques et non-éthiques des comportements; les articulations entre l’éthique, la morale et la maturité; le sens d’une valeur selon la vision en action.
- Définition de l’éthique.
Le dictionnaire écrit que l’éthique est une science morale descriptive ou prescriptible, qui fait la distinction entre le bien et le mal. Il donne exactement la même définition de la morale, ce qui se comprend puisque Morale est d’origine Latine et Éthique d’origine Grecque.
Pour s’entendre et avoir une même définition, je propose de définir l’éthique comme l’ensemble des règles et des valeurs que l’on a faites siennes et qui n’ont plus besoin d’autres senseurs que sa propre conscience et la morale comme les règles et les valeurs qui sont transmises par la culture et une, ou des, autorités, référentes ; qui, pour être respectée par la collectivité, demande de craindre un senseur extérieur, réel ou imaginaire. On peut comparer l’éthique et la morale au code de la route. L’éthique à ceux qui ont intégré les règles et les valeurs et les respectent, qu’il y ait gendarme ou pas. La morale à ceux qui ne les respectent que par crainte de leur présence.
L’éthique est à entendre comme l’ensemble des valeurs intégrées qui, selon le niveau de maturité, permet de prendre sa part de responsabilité dans la relation. La morale, comme l’ensemble des règles et des valeurs qui décrivent, en termes d’absolus, ce qui est bien, ce qui est mal, sans tenir compte ni des circonstances, ni des situations. Ce qui éclaire la raison pour laquelle il est plus facile de parler de valeurs, de façon absolue, que de les incarner.
- Finalité d’une valeur selon la vision.
Prenons l’exemple de la valeur respect. Imaginons que l’on soit obligé de passer la nuit dans le champ d’un tiers. Selon la vision, la valeur respect ne sera pas orientée vers la même finalité et n’aura pas le même sens. Si c’est une vision de survie aux commandes, le respect tiendra compte des risques et des inconvénients. Il sera soumis à la peur et la finalité de la valeur sera d’éviter des conséquences réelles ou imaginaires. Si la vision est égocentrée, le respect sera soumis au besoin de faire valoir son point de vue et la finalité sera d’obtenir satisfaction du besoin. Si c’est une vision autocentrée narcissique, la finalité sera le maintien la représentation, ou l’image sociale, en recherchant un compromis qui le préserve. Alors que si c’est une vision systémique et autonome, la finalité sera de prendre en compte l’ensemble des points décrits, y compris les conséquences du choix de l’emplacement. Le respect tiendra compte des critères et des paramètres de la relation dans la satisfaction du besoin. Chacune des visions, en fonction des circonstances et de la situation définira les contours de l’éthique et donnera un sens à la valeur, qui informera du niveau de la maturité. Il sera important, lors de l’observation, de bien différencier une vision morale sans éthique, d’une vision éthique amorale, d’une vision éthique et morale.
Ce sont donc, en situation, dans un contexte donné, des circonstances précises que les comportements et les échanges observés informeront du type de vision et du niveau de développement de la maturité. L’incohérence, la cohérence ou la congruence de la personne ou du système observé viendront le compléter.
De ce fait, la vision et la maturité sont le moteur de l’action. Elles donnent aux valeurs, selon les croyances, leur sens et leur finalité dans la relation. Ce qui permet de comprendre Jean-Paul Sartre lorsqu’il écrit “l’enfer est pavé de bonnes intentions”, soulignant, par cette phrase, qu’une valeur, selon l’intention, peut ne pas être ni suffisamment éthique, ni forcément morale.
On peut illustrer ces propos dans l’exemple de l’acte de tuer. Tuer qui est un acte absolument pas moral, qui nie la valeur “respect de la Vie”. Si moralement, dans l’absolu, cet acte est mal et interdit, ne devient-il pas acceptable s’il est mis en œuvre pour survivre en temps de guerre par exemple ? N’est-ce pas le contexte, la situation, la motivation, les intérêts, le but que les comportements traduisent de façon différente d’une personne à une autre ? La vision et la maturité ne sont-ce pas ce qui oriente la façon d’agir ? N’est-ce pas cette vision qui permet de tenir compte, ou pas, de cette “valeur” importante qui est de préserver la Vie ? Ce qui me fait dire que la vision engendre la finalité du comportement et de l’action, et qu’elle est différente d’une personne à une autre, selon sa maturité.
Si on accepte cette hypothèse, on peut comprendre que pour une vision de survie, ou égocentrée, même morale, dénoncer ses voisins et valoriser la valeur loyauté, quelles qu’en soient les conséquences, même dramatiques pour les voisins, puisse paraître moral, voire éthique. Que pour une vision autocentrée, se glorifier de faire son devoir, au prix de la mort d’humains ou d’animaux, même si ça n’est ni éthique, ni moral, puisse l’être aussi. Chacun trouvant des arguments avec lesquels ils pourront justifier leur vision, comme par exemple réduire la surpopulation avec des méthodes pas très éthiques, ou protéger leurs moutons en tuant et exterminant ours ou loups, etc.
Ceci semble mettre en évidence que tout un chacun a des valeurs, mais que selon le regard, la vision et la maturité (affective, pensée, conscience), on ne les oriente pas vers une même finalité. Ce qui valide l’hypothèse que l’éthique et la maturité soient étroitement liées l’une à l’autre et qu’une vision systémique est le résultat d’une maturité affective, de pensée et de conscience qui correspond au niveau le plus élevé de conscience d’un individu ou d’un système.
On pourrait décliner la finalité des valeurs en fonction de chacune des visions, mais cela serait fastidieux. Alors prenons juste une autre valeur, comme, par exemple l’honnêteté et voyons comment, selon la situation, le contexte et la vision elle peut avoir une finalité différente. L’honnêteté a-t-elle la même finalité pour une personne qui vole de la nourriture pour se nourrir ? Pour celle qui le fait pour ne pas dépenser son argent ? Pour celle à qui la loi le lui autorise ? Ou pour celle qui ne le fait pas, même si la loi le lui autorise ? Laquelle des visions est la plus éthique ? Laquelle ne l’est pas ? Pourquoi la première ne le serait-elle pas dans le cadre d’une vision de survie ? La vision autocentrée est-elle plus éthique si elle est autorisée ? Je vous laisse en décider.
Alors définir ce qui est éthique et ce qui ne l’est pas, ce qui est bien et ce qui est mal est-il possible lorsque la maturité ne parvient pas à tenir compte des trois critères de la relation ? Sans ces trois critères conjoints est ce qu’il est possible de réduire les injustices sociales, familiales, économiques, politiques ? N’est-ce pas l’absence d’un, voire de deux des critères de la relation qui l’en empêche ? Comment être le plus juste possible si l’on n’a pas une vision systémique autonome et une maturité relationnelle ? A méditer…
Quelle que soit votre réponse, est-t-il incongru de dire que la vision fait agir ? Que le niveau de maturité conjoint à la morale précise le bien et le mal ? Que l’éthique oriente les valeurs et précise leurs finalités dans la relation ?
- Récapitulons les points développés avec la dynamique évolutive du changement :
1- La vision, selon les présupposés de la dynamique évolutive du changement, offre, selon son incohérence, sa cohérence ou sa congruence, des informations sur la maturité affective, de pensée et de conscience des personnes et des organisations. Elle le fait sur la finalité des valeurs, des croyances et du sens qui est donné à la relation. Elle tient compte des niveaux de dépendance, de contre-dépendance, d’indépendance et d’interdépendance de chacun. Elle apporte un éclairage sur le niveau de maturité des représentations affectives, de l’articulation de la pensée pour savoir si elle est morcelée, linéaire clivée ou systémique, sur le niveau de conscience des enjeux de la relation. Elle offre une compréhension de la spécificité des personnalités, sur l’organisation de leur représentation psychique et leurs vécus internes en relation.
2- La vision de survie oriente l’attention sur l’autre pour répondre à son besoin de sécurité – la vision égocentrée le fait afin de construire son identité “moi” qui, pour s’affirmer, le conduit à s’opposer à l’Autre, sans en tenir compte vraiment dans la relation – la vision autocentrée le fait pour maintenir l’image sociale, le rôle, en se comparant, se dépassant, repoussant ses limites dans une dynamique de compétition qui oblige de tenir compte de l’autre – la vision systémique oriente l’attention sur soi en lien avec l’autre et l’ environnement, dans une recherche d’épanouissement, d’harmonie et de développement du savoir être en relation.
3- Les maturités (affective, de la pensée et de la conscience) sont toutes trois les composantes de la vision, qui conditionnent selon leurs niveaux les attentes, le sens et le positionnement dans la relation.
4- Les quatre phases qui vont de la dépendance à l’autonomie sont quatre étapes incontournables du changement et de l’évolution, qui sont composées d’apprentissages pour répondre aux manques et aux besoins afin de développer les maturités nécessaires à une véritable autonomie.
5- L’éthique est la mise en action du niveau de maturité du sens de chacune des valeurs. L’intégration, de ces valeurs et des règles, correspond au niveau d’évolution et de maturité de chacun.
6- La morale est une impérative nécessité pour différencier ce qui est bien de ce qui est mal. Elle est transmise par l’éducation, les apprentissages et l’hérédité culturelle. Elle est la référence pour le bon fonctionnement social, sociétal et collectif. Elle est soumise au regard d’une autorité extérieure à soi-même (Dieu, parents, social, police ou autre autorité) qui conditionne les comportements, sans qu’ils soient forcément éthiques.
Ces 6 points permettent de conclure que la maturité est seule à garantir une relation éthique et respectueuse. Que, de tenir compte de soi, de l’autre et de l’environnement, d’accepter l’altérité et les différences, de concevoir la complexité de la relation, d’intégrer les règles et les valeurs morales en sont les conditions pour un bien vivre ensemble.
La congruence informe de la prise en compte de la complexité ! L’éthique est la maturité la plus élevée pour un individu ou un système et elle se reconnaît lorsque ce qui est pensé, ressenti, dit et fait se traduit en comportement qui se parle à la première personne du singulier sans être généralisé.
La dynamique évolutive du changement, comme son nom l’indique, postule que tout est en permanence en évolution et en changement donc sans fin. D’où mon invitation, à ceux qui le souhaitent, de compléter ces propos, de les faire évoluer en y apportant de nouveaux éclairages.
Jean-Marc Farahmand
Pau le 7/7/2020