La psychothérapie et la relation d’aide

La psychothérapie et la relation d’aide, ont-t-elles un impact sur le lien social en souffrance ?
Ce sujet pose la question si le travail sur soi, la relation d’aide, l’accompagnement psycho-social, l’éducation, le soin, la psychothérapie ont un impact sur le lien social en souffrance?
Mais aussi s’ils ont un pouvoir pour agir et quels sont leurs devoirs pour le faire ?
Vaste sujet qui pousse à réfléchir sur comment ces champs complémentaires qui s’interpénètrent contribuent à améliorer, à apaiser, à soulager, à donner des outils, à apprendre à être, pour s’adapter le plus écologiquement possible à l’environnement, tout en contribuant à créer le lien nécessaire à une homéostasie du vivre ensemble, essentiel pour tenter de progresser sans laisser personne sur le bord de la route.
Si la question est de savoir s’ils ont un impact sur le lien social en souffrance ? La réponse simple serait de dire oui sans aucun doute.
Mais il me semble qu’avant de répondre si un champ peut avoir un impact sur la souffrance et si il peut agir sur le lien, et le lien social en particulier, nous avons besoin de préciser ce qu’est un lien, ce qu’est une relation, ce qu’on entend par souffrance et ce qu’on entend par lien social.
Ce qui fait qu’y répondre n’est pas simple. Je pense pour ma part que ce n’est pas un champ ou un autre qui a un impact sur la souffrance, encore moins sur le lien social, mais la disponibilité, la présence, la bienveillance, la sécurité que propose les accompagnants, en fonction du degré d’autonomie et de conscience des personnes en souffrance. Leur rôle s’ils en ont un, c’est de leur proposer des moyens pour intégrer la sécurité nécessaire pour pouvoir rester en relation. Le choix de rester en lien ou pas étant toujours une décision individuelle, qui est conditionnée par le niveau de maturité affective et la capacité de résilience de chacun. D’ailleurs, nous savons, ô combien parfois, qu’il est difficile lorsque nous sommes confronté à l’impuissance à laquelle nous renvoie la souffrance, de réussir aussi bien que nous le voudrions à l’accompagner et comment parfois malgré nous, par
un mot, une proposition, une piste, involontairement nous contribuons à l’amplifier. Ce qui fait réaliser combien l’impuissance à ne pas pouvoir répondre à la détresse, ou soulager la douleur peut être à l’origine de rupture de lien ou d’auto-exclusion au niveau social.
C’est pourquoi je vous propose de définir ensemble ce que sont pour nous la souffrance, le lien, le lien social et bien évidemment comment se créé la relation, qui me semble être le principal sujet qui intéresse ce thème, car le lien ne peut se définir que dans la relation et l’absence de souffrance dans la présence d’un lien stable et suffisamment sécure.

Alors comment définir la souffrance ?
Comment le faire pour quelque chose qui appartient à un ressenti qui est autant subjectif qu’objectif, physique que moral. Ceci n’est pas aisé. Je vous propose, au risque de me tromper, de définir la souffrance comme tout ressenti qui a une durée, un temps, une période, une fréquence, une intensité, qui empêche tout être qui la ressent de vivre dans l’insouciance de son présent. La douleur quant à elle pouvant être définie comme la mesure de l’intensité de ce vécu, qui se manifeste dans le corps physique. Si la douleur physique est relativement facile à décrire, celles qui parlent des souffrances morales ou psychologiques le sont beaucoup moins et demandent un processus d’élaboration par la parole qui n’est pas simple. Je vais pourtant m’y essayer plus loin en ce qui concerne la
relation.

Comment définir le lien ?
Là aussi, exercice difficile, je vous propose de concevoir le lien comme une relation particulière, logique ou pas, d’ordre affectif, de dépendance entre divers éléments, choses ou personnes, qui s’établit sur une base réelle ou virtuelle et qui impose un attachement qui peut se manifester dans une relation allant du plus sécure au moins sécure et, parfois même, pouvant aller jusqu’à se vivre comme une contrainte, un emprisonnement voire à
une aliénation.
Dans le domaine de l’accompagnement quelle que soit la souffrance, l’accompagnant interroge toujours la nature du lien et sa relation aux objets, aux personnes, aux idées et à leurs représentations. C’est pourquoi le plus souvent, pour ne pas dire toujours, c’est la nature de la relation entre l’accompagnant et l’accompagné, qui par les interactions qu’elles produisent, entraîne la transformation de ce lien et permet progressivement l’acceptation nécessaire pour opérer le changement. La transformation de la représentation de l’idée et de l’affecte sans un ressenti sécure entraîne au mieux une sur-adaptation sociale et une libération temporaire de la souffrance. C’est pourquoi les approches psy postulent que le changement ne se produit que dans une relation transférentielle, qui s’articule entre des interactions qui tiennent compte de la nature de la demande et le besoin de réappropriation des apprentissages manquants par l’accompagné. Cette dernière résultant de l’expérience, réussir d’un lien sécure, que l’accompagné introjecte progressivement. Cette dynamique psycho-affective qui restaure la sécurité relationnelle permet d’accéder à l’interdépendance, que la philosophie Bernienne de l’analyse Transactionnelle défini comme le véritable vécu d’autonomie.

Comment définir la relation ?
Je vous propose de la voir comme l’ensemble des liens et des rapports qui existent entre des personnes qui communiquent entre elles par des contacts physiques, émotionnels, affectifs, verbaux, para-verbaux ou non-verbaux. Les échanges qui en découlent entraînent systématiquement des réactions qui alimentent et maintiennent la relation, à la fois de façon consciente ou inconsciente.

Comment définir le lien social ?
La sociologie le défini comme l’ensemble des appartenances qui lie les gens et les groupes sociaux à leur communauté et entre eux, l’intensité étant fonction des orientations et des propositions de leurs systèmes. L’observation politique des systèmes a permis de se rendre compte que plus les relations entre les individus qui le compose est sécure, plus les personnes se comportent de façon indépendantes ou autonomes, avec des liens qui sont
relâchés, fluides, confortables et qui favorisent une relation plus authentique. En revanche plus les relations entre les individus sont insécures, dépendantes ou contre-dépendantes, et plus se manifeste dans le système des relations qui sont tendues, agressives, dans la méfiance, et qui les oblige à se sur-adapter, tout en fragilisant le lien et en augmentant le risque de rupture et de rupture sociale en conséquence.
Ce sujet, parle donc bien évidemment de la difficulté relationnelle et de la souffrance qui résulte de l’alchimie qui s’opère entre l’expression et l’interprétation des messages échangés, conscients et inconscients, entre ceux qui les émettent et ceux qui les reçoivent.
Pour développer mes propos, je vous propose un angle tout à fait subjectif, à partir de l’expérience d’accompagnement d’individus et de groupes restreints, qui me fait postuler trois niveaux de souffrance.

-Les souffrances psychiques d’ordre psycho-affectif.
-Les souffrances psychiques et physiques causées par les accidents de la vie.
-Les souffrances de sens d’ordre existentiel.

Les travaux de J.Bowlby et C.Answorthe sur le lien, les apports sur la construction de la psyché proposés par la psychanalyse, la psychologie, la sociologique, les sciences de l’éducation, les sciences humaines en général et la pharmacopée du corps médical pour certains cas ainsi que la psychanalyse des profondeurs, la philosophie, la mythologie, les philosophies religieuses pour les autres sont autant d’approches qui aident et apportent
nombres de réponses à l’ensemble des souffrances de l’existence.

– Alors comment l’accompagnant que nous sommes, à notre niveau, peut intervenir dans ce vaste champ qui appartient à la psyché et qui se manifeste dans la relation ?
– Comment soulager cette souffrance qui pousse certains individus à rompre le lien et le lien social parfois ?
– Comment accompagner des êtres aussi complexes, qui en permanence doivent trouver un équilibre entre des conflits paradoxaux qui les traversent ?
– Comment aider quelqu’un qui souffre, par exemple, de ne pas pouvoir satisfaire ses besoins d’affection, d’amour, de signe de reconnaissance, ou ses envies, ses désirs d’avoir une relation amoureuse, mais aussi d’être reconnu et qui doit tenir compte des obligations morales, sociales et sociétales, c’est-à-dire des interdits qui l’obligent à  respecter les limites du vivre ensemble, c.à.d. l’Autre, les règles de convivialité et qui l’obligent à accepter qu’il ne peut pas disposer ni des choses ni des gens comme de tout ce qui ne dépend pas de lui ?
Si ceci paraît simple et évident au premier abord, lorsque des choix s’imposent, cela se complique. Choisir oblige à renoncer. Renoncer c’est choisir et choisir c’est accepter une part d’inconnu. Nous voici confrontés à la première difficulté, même si la raison nous dit que le choix est bon, la deuxième étape demande de transformer le cortège d’émotions, de sentiments, dont la peur de l’inconnu qui à elle seule va produire son cortège de souffrances.
Brrr ! Pour couronner le tout, comment faire lorsqu’il y a confrontation, obligatoirement nécessaire, au réel et que les représentations des besoins, des désirs, des envies (cadre de référence), projetées sur les choses, les situations, les personnes avec lesquelles la relation, le lien établi ne répondent pas aux attentes, souvent à nos exigences, nous occasionnant des désillusions et des frustrations qui vont ouvrir de nouvelle brèches dans le domaine de la souffrance.
Enfin, comment aider et développer la capacité d’acceptation et de résilience nécessaires, sans lesquelles la souffrance dans la relation ne peut que persister ?
La résistance au changement, qui nous parle du mécanisme psychique de défenses élaboré dès l’enfance et qui se réactive face à chaque nouvel apprentissage, nous parle aussi d’un autre axe pour observer la souffrance. Son intensité est toujours proportionnelle au stress, « déclinaison de la peur », vécu dans la situation. Ce stress, parle encore et toujours de l’insécurité relationnelle et montre encore que plus il est fort, plus il témoigne d’un manque de confiance, d’un sentiment de dépendance qui renvoie à des ressentis de représentations archaïques bien connues comme la peur de l’abandon, du rejet, d’avoir honte etc. Et moins il est fort, plus la confiance en soi, en l’autre, en la vie et de l’inconnu diminue. Cette dimension de la souffrance n’épargne personne, à des degrés divers, qui serait trop long à développer aujourd’hui, mais explique l’une des origines de ce qui produit une rupture du lien et du lien social par conséquence. La source des souffrances étant infinie, je m’en tiendrai là, et pour terminer, je vous propose une vision simplifiée de l’accompagnement, en quatre étapes, qui peut être exprimée ainsi :
• Accueillir la personne en souffrance, où elle se situe dans sa dynamique affective (D-CD-I-ID).
• La soutenir tant qu’elle en a besoin et tant que cela respecte l’écologie de la personne et de son environnement (besoin, situation et secteur de vie concerné).
• Lui permettre de se confronter, dans la bienveillance, à ses représentations pour développer ses capacités propres d’agir et de sortir des paradoxes internes et externes, pour qu’elle se libère de ses angoisses et de ses conflits (c.à.d. lorsqu’elle arrive à concevoir ce qu’elle ne veut plus, mais qu’elle ne peut pas encore faire de nouvelles propositions pour assumer sereinement la responsabilité de ses choix).
• Lui faire prendre conscience de ses limites et de l’importance de ne plus chercher à prouver aux autres quoi que ce soit, pour accepter progressivement qu’être responsable de ses choix et de ses actes est une bonne chose, mais pas suffisant pour créer l’homéostasie nécessaire au vivre ensemble dont je parlais au début de mes propos.
Ce cheminement confirme l’importance de tous les champs et le besoin de leurs compétences et de leurs complémentarités pour accompagner la souffrance et donner des outils qui permettent l’autonomie et l’écologie nécessaires à un vivre ensemble.
L’autonomie, la responsabilisation et la coopération me semblent être les trois états fondamentaux pour vivre une vie sociale dans des liens sécures et épanouis. C’est pourquoi je suis un farouche défenseur qui déclare d’utilité publique le travail sur soi, quelles que soient la méthode, la technique ou l’approche qu’on choisit.
Je rappelle qu’il y a fort longtemps, un homme a dit : « Donner un poisson à manger à un individu, il sera nourri un jour, apprenez lui à pêcher et il saura se nourrir toute sa vie ».
C’est pourquoi je conclurai en disant que si nous avons un devoir, pour moi, ce serait sans aucun doute celui de transmettre les outils que nous maîtrisons à ceux qui en ont besoin, de façon bienveillante et congruente, pour que l’humain en souffrance, que nous sommes tous, évolue avec ses semblables, en sachant se nourrir, grandir et se réaliser en restant toujours en lien avec ses paires en humanité, sans lesquels il ne peut réussir.
Jean-Marc Farahmand
le 24-06-2016
Intervention dans le cadre de la Journée d’étude, pour les aidants et les thérapeutes à
l’Association Spirale de Pau.